lundi 25 juin 2018

Lui en jogging

Lui en jogging. Elle en T-shirt.
Les cheveux ébouriffés. Tous les deux.
Presque rien. La ville endormie. Animaux nocturnes.
Il dessine. Elle écrit. Vieux film en noir et blanc
La table envahie, verres, cendriers, disques, vêtements, pizzas
On entend un piano, ou du rock
Une respiration pour deux
Une lampe de chevet
Ils crient sans bruit
Existent à travers l'expression
Il ne retient plus sa main disparue derrière la fumée du joint
Sur le papier, sur sa peau
Elle avec les mots, immobile page blanche
Jusqu'à ce que l'encre coule à flots
Les visages prennent vie, la montagne aussi
Les stylos se vident, l'histoire s'écrit
Le monde enfoui leur explose à la gueule
Brusquement, ils se mettent à vivre
Une passion dévorante et charnelle
Possédés. Qui sont-ils. Par la fenêtre, il fait jour déjà
Les larmes des fantômes hantent nos rêves interdits


Il se réveille dans un souffle, il est seul
La gorge serrée, le vidéo-projecteur en veille
Une étoile filante. Non. Juste les yeux de son chat

juin 2018 - Couëron (44)

Mon seul

Les témoins. D'un temps révolu ou parallèle. Le vent soufflait si fort que j'avais l'impression d'être emporté dans une vague d'écume puissante et foudroyante. Le sable brûlait mes yeux, un sifflement strident faisait exploser mes tympans tels des lames de rasoir tournant à plein régime, je m'enfonçais dans la terre comme surpris par la marée montante régulière et inébranlable, mes vêtements arrachés virevoltaient accrochés aux branches d'un arbre comme les drapeaux d'un naufragé, les yeux encore ouverts je hurlais à Mathias des choses inaudibles. M'entendait-il lui crier d'attraper ma main ? M'entend-il encore aujourd'hui l'implorer de se méfier des apparences, d'écouter son cœur et d'être fort pour nous deux ?

Mathias. Mon frère. Cet autre moi à qui j'ai tout donné. Presque dix ans qu'on ne s'étaient pas vus. Je ne l'ai pas oublié. Il a construit et on s'est éloignés. Sans cesse je repensais à notre enfance et à ce qu'il m'avait appris. Je l'aimais mon ami, mon seul, même si je ne le lui ai jamais dit. On ne parle pas de ces choses-là entre hommes. Et puis je suis devenu fragile et faible, j'ai fais des choix par défaut, pour faire bonne figure, cela ne m'a pas réussi. Je n'aurai jamais osé lui dire. J'ai toujours tenté d'être ce que les autres attendaient de moi et j'ai cru dur comme fer que ça me rendrait heureux. J'ai perdu. Ne fait pas la même erreur que moi mec. Je sais, c'est facile de donner des conseils, plus facile à dire qu'à faire.

Ma mâchoire se déformait d'articuler toujours plus fort pour envoyer mes mots au-delà des nuages de sable et de terre. En vain. Je me sentais faiblir. Quelques sursauts me permettaient une vigueur et des regains de vitalité suffocants. Puis le noir. Je me mis à vomir mes tripes. Mes emmerdes inondèrent mon corps comme on arrose une plante. Bientôt elles remplirent le trou que j'avais mis des années à creuser. Je perdis connaissance. Je laissai ce qui me restait de vie entre les mains de mon ami qui arriverai peut-être à temps. Juste le temps d'entendre autour de moi du tonnerre et des explosions.

Mathias regardait ailleurs. Droit devant la côte sauvage. Ignorant tout de moi. Aucune prémonition. Auprès des siens, la famille qu'il s'était choisie. Son passé, il le portait, mais chaque pas qu'il faisait l'en éloignait un peu plus. Jamais il ne se retournait pour vérifier s'il n'avait pas oublié ou perdu quelque chose. Si c'était le cas, cela devait en être ainsi et la vie à venir n'en serait que plus légère. Il avait gardé des photos de son enfance. J'étais dessus, nous deux jeunes et insouciants, des copains qui devinrent amis à jamais, mais sur les images, aucun signe ne laissait présager la force de notre relation... D'ailleurs, l'a-t-il vécue comme cela lui ? Ou est-ce seulement moi qui l'ait imaginée ?
Mathias était immobile, face à l'océan où des vagues gigantesques venaient se briser sur les falaises qui petit à petit se fondaient dans le crépuscule. Le soleil rougeoyant laissa place à un bleu nuit. Bientôt les étoiles apparurent une à une, Mathias s'amusait à reconnaître les constellations, il aimait par-dessus tout se fondre dans l'immensité de l'univers et rester des heures à le contempler. Quand il était petit, on lui avait raconté que les esprits des gens disparus se transformaient en étoile. Mon cœur fit un bond dans ma poitrine, car je savais que ce soir il en voyait une de plus que d'habitude.

juin 2018 - Couëron (44)

Jusqu'à renaître


Au travers des embruns, le toucan transparent allume la lumière. Humide et tropicale, la déesse des îles tourne les pages du livre. Poussiéreux et toxique, le monstre du grenier hiberne et ronfle encore. Au-dessus de l'étang, les fantômes planent et diffusent leur fragrance. Tes exigences d'adulte conscient se moquent du luxe parisien. Tu transperces l'ennemi précisément défini sans mascara ni fièvre. Parmi les roseaux, tes erreurs agonisent en hommage aux perdus. Pop rock en noir et blanc, de cuir vieilli au micro tranchant, tu montes le son sur la falaise. Il est loin le temps triste, aujourd'hui l'univers est en expansion. Au-dessus de Nantes, ce soir de fête, les aurores boréales te font signe de danser sans t'arrêter jusqu'à renaissance

19 juin 2018 - Parc du Grand Blottereau Nantes - photo Teddy Wadble

Sauvage et romantique


Glissement de terrain. Inspiration du peintre inscrit dans l'Histoire. Pastel carnivore et corruption attendrie. Approche-toi lentement, je suis ton rêve, ton intérieur coloré au parfum de nénuphar, ton moment à toi derrière la vitre, ton mirage du dimanche avant la pluie torrentielle. Laisse-moi tes larmes, j'en nourris les crocodiles, la forêt vierge et les feuilles de l'été prochain. Semée j'ai été, primitive et insolente, d'une petite main à l'époque innocente. Aujourd'hui je pleure au milieu de l'étang, ma nature perdue et mise à la porte de mes ambitions. Sauvage et romantique, mon pouvoir grandit, imperceptible. Tu m'observe fascinée, dans tes veines coule un murmure végétal. Au loin, à l'ombre d'un arbre centenaire, ton chien machouille quelques brins d'herbe.

18 juin 2018 - Parc du Grand Blottereau Nantes

Dans une coquille


Dans une coquille rouge d'une marque anglaise qui n'existait plus. Orage. Protection. Mirage. Sublimation. Atmosphère onirique en décomposition. Dissolution chimique du temps figé. Trou noir. Images en rappel. Sport extrême de la vie d'avant. Regard en arrière. Relecture du voyage. Avance rapide présent avenir fin recommencement. Dessin au charbon des questions plongées en eau profonde. Brouhaha et agitation sur pellicule périmée. Bulles de savon et de bière. Humanité amère en décoloration. J'ouvre la fenêtre. Air pur et pots d'échappement. J'attends mon frère

10 juin 2018 - Saint Herblain (44)