mardi 1 avril 2014

Edgar et les cancrelats


Tout le monde garde en mémoire, bien caché dans un coin obscur de son esprit, un individu rencontré au hasard d'une vie, qui pourtant ne mériterait aucunement qu'on s'en souvienne. L'ombre d'un personnage étrange faisant partie de cette rare catégorie de personnes qui caractérise à elle seule tout ce que l'on considère de rebutant, d'abject et de méprisant dans le genre humain. Sale, laid, vulgaire, malhonnête, lâche et paresseux. Edgar Troyen était de ceux-là. Un monstre d'égoïsme et de suffisance, une chimère de vices et de travers, une bête de foire grotesque et méchante. Mais se considérant comme un être humain à part entière malgré l'avis contraire d'un certain nombre de ses voisins et concitoyens qui ne voyaient en lui qu'une grossière caricature, il exigeait d'autrui le respect et la dignité dus à sa personne, alors qu'il n'en éprouvait nullement pour quiconque, y compris pour lui-même, étant aussi négligeant sur son hygiène et son aspect qu’envers sa conscience et son karma.
Edgar vivait dans un deux pièces vétuste d'à peine quarante mètres carrés au troisième étage d'un immeuble en délabrement datant des années trente : un vestige estropié de la guerre, tombé en désuétude et mourant au cœur d'un vieux quartier populaire à l'abandon qui sombrait lui aussi en décrépitude. Alors que pour la plupart des gens cet endroit s’apparenterait à l'enfer, pour Edgar c'était le jardin d'éden. La petit rue pavée au pied de son immeuble était pour lui la route du paradis, ou pour être plus juste, des paradis. Il y trouvait tout le sel et le piment dont il avait besoin pour assaisonner son existence. Un resto rapide qui faisait kebabs et hamburgers, une pizzéria bon marché qui le livrait à domicile quand il avait la flemme se sortir de chez lui, des bars de nuit où il avait ses habitudes, une épicerie qui ouvrait jusque très tard dans la nuit, un sex-shop qui faisait aussi cinéma porno et enfin lorsque minuit passait, quelques prostitués à bas prix qui arpentaient les trottoirs en quête de clients peu regardants sur leur santé. 
Célibataire endurci, sans enfants, sans emploi et bénéficiaire à temps plein de la ressource de solidarité active et d'aides sociales en tout genre, il menait ce qu'il appelait la belle vie et n'avait aucunement l'intention de renoncer à tout ça. 

Extrait de "Edgar et les cancrelats" chapitre 1, Nouvelle fantastique et image Teddy Wadble, 31 mars 2014

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